Le botulisme scientifique
Le botulisme est une intoxication rare mais sévère résultant de l’action de neurotoxines paralysantes produites par des souches neurotoxinogènes de bactéries de l’espèce Clostridium Botulinum.
Sur base de leurs propriétés antigéniques, on distingue sept types de toxines botuliques désignées par une lettre de A à G. Les types A, B et E (rarement F) provoquent l’intoxication chez l’homme, les types C et D sont responsables du botulisme chez les oiseaux et les mammifères. Ce texte concerne le botulisme chez l’homme [1].
Être présent en Belgique
Selon les données du Centre National de Référence pour Clostridium botulinum (NRC), le botulisme humain est rare en Belgique. Depuis 1988, seulement 19 cas de botulisme d’origine alimentaire ont été signalés. Comme en France et en Italie, c’est le botulisme de type B qui est le plus fréquent en Belgique. Dans la plupart de ces cas, l’infection est probablement liée à la consommation de jambon, mais dans certains cas le miel est suspecté, et dans un cas même les olives [1,2].
Période d’incubation
La période d’incubation du botulisme dépend de la vitesse à laquelle la toxine atteint la synapse cholinergique périphérique. En cas d’ingestion de la toxine, la période d’incubation varie de 2 heures à 8 jours, les symptômes apparaissant généralement 12 à 72 heures après le repas contaminé. En cas d’inhalation de la toxine sous forme d’aérosol, la période d’incubation peut être plus courte [2,3].
Symptômes
Le botulisme se manifeste par un tableau clinique aigu, sans fièvre, avec une paralysie symétrique et descendante. Le syndrome débute par une paralysie bulbaire, causant une défaillance des muscles du visage et de la gorge des deux côtés. Les symptômes précoces incluent une vision double, des troubles de la parole et de la déglutition, une faiblesse des muscles faciaux, un ptosis et une perte du réflexe de déglutition. Par la suite, une faiblesse survient au niveau du cou, des bras et des muscles respiratoires.
Bien qu’il n’y ait pas de troubles de la sensation, des symptômes autonomes tels qu’une bouche sèche, des pupilles dilatées, une bradycardie et une rétention urinaire sont observés. La paralysie des muscles respiratoires est la complication la plus dangereuse et peut être fatale sans intervention. Grâce à la ventilation mécanique et à la disponibilité d’une antitoxine, le taux de mortalité a considérablement diminué, passant de 40 à 50 % à environ 5 % [2,4].
On distingue classiquement plusieurs formes [2] :
Botulisme d’origine alimentaire
Cette forme est parfois précédée de symptômes gastro-intestinaux spécifiques (comme des nausées, des vomissements et des diarrhées). Cela s’explique par la présence de la toxine dans l’aliment consommé, qui est ensuite absorbée dans l’intestin. Un exemple bien connu est l’épidémie survenue à Bordeaux (France) en 2023, où 15 personnes ont contracté le botulisme après avoir mangé des sardines en conserve artisanale dans un restaurant local. Une personne est décédée des suites de la maladie [5].
Botulisme infantile
Il se développe lorsque Clostridium botulinum s’installe dans l’intestin d’un bébé et y produit des toxines. Ce phénomène est possible car la flore intestinale des jeunes enfants (de un à six mois) n’est pas encore totalement développée. La contamination peut provenir d’aliments comme le miel ou de conserves mal préparées ou stockées, telles que des confitures maison, du pesto ou de l’huile à l’ail. Les symptômes sont la constipation, le refus de s’alimenter, la faiblesse, une production excessive de salive et un cri faible et aigu. Dans environ 50 % des cas, des problèmes respiratoires surviennent. L’évolution de la maladie dure généralement de 1 à 2 semaines, puis se stabilise, suivie d’une guérison. Des récidives sont possibles. Un cas a été rapporté en Italie, où un bébé de 9 semaines a développé le botulisme après l’utilisation d’une sucette régulièrement trempée dans du miel. Le miel contenait des spores de Clostridium botulinum qui correspondaient aux bactéries trouvées dans les selles du bébé [6].
Colonisation intestinale chez les enfants plus âgés et les adultes
La colonisation intestinale par C. botulinum peut également se produire chez les enfants plus âgés et les adultes, notamment dans des situations où la flore intestinale est perturbée. Cela peut survenir après une chirurgie ou en cas de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (par exemple, la maladie de Crohn ou la colite ulcéreuse). Dans ces cas, C. botulinum peut s’installer dans l’intestin et y produire des toxines, provoquant ainsi le botulisme. Un exemple publié a concerné un patient atteint de la maladie de Crohn qui a développé un botulisme par colonisation intestinale [7].
Botulisme d’origine traumatique
Cette forme rare de botulisme survient lorsque Clostridium botulinum pénètre dans une plaie et y produit des toxines. Cela se produit généralement après des blessures où de la terre contaminée s’introduit dans la plaie, ou lors de l’injection d’héroïne contaminée sous la peau (notamment chez les utilisateurs d’héroïne dite « black tar »). Les symptômes sont similaires à ceux du botulisme d’origine alimentaire. Dans le comté de San Diego (États-Unis), plusieurs cas de botulisme d’origine traumatique ont été signalés en 2017-2018 chez des consommateurs d’héroïne « black tar » [8,9].
Botulisme par inhalation
L’inhalation de la toxine botulique est considérée comme une menace potentielle dans le cadre du bioterrorisme, où des aérosols de toxine pourraient être délibérément dispersés. Bien qu’il n’y ait pas de cas naturels connus de botulisme par inhalation, des modèles animaux montrent que les symptômes sont similaires à ceux des autres formes, mais avec une période d’incubation plus courte. Une étude sur des singes rhésus a démontré que des symptômes comme une faiblesse musculaire, un ptosis et des problèmes respiratoires se développaient rapidement après une exposition à la toxine botulique sous forme d’aérosol [10].
Botulisme iatrogène
Le botulisme iatrogène est rare, mais plusieurs cas ont été décrits dans la littérature après un surdosage ou l’utilisation de toxine botulique non enregistrée. En Belgique, la toxine botulique A est enregistrée pour des applications médicales comme la spasticité des membres supérieurs après un AVC, le strabisme, le blépharospasme, la dystonie cervicale et le torticolis spasmodique. Son utilisation cosmétique est également autorisée, à condition que les injections soient réalisées par un professionnel de santé agréé, suivant des directives strictes.
En mars 2023, 87 cas de botulisme iatrogène ont été signalés en Europe après des injections intragastriques de toxine botulique de type A pour la perte de poids. Certains patients ont développé des symptômes graves et ont été admis en soins intensifs [11].
Traitement
Une paralysie due au botulisme peut durer de quelques semaines à plusieurs mois. Durant cette période, des soins intensifs sont nécessaires, incluant la ventilation mécanique et un soutien hydrique et nutritionnel. Des complications surviennent fréquemment, telles que des escarres, la malnutrition, une pneumonie, une urosepsie, une thrombose veineuse profonde et la dépression [2].
Antibiotiques
Bien que les antibiotiques soient parfois nécessaires pour traiter les complications infectieuses, ils ne sont pas indiqués pour le traitement du botulisme, sauf en association avec un débridement chirurgical en cas de botulisme d’origine traumatique [12]. Cependant, ils peuvent être administrés en cas d’infections secondaires ou concomitantes telles que la pneumonie ou les infections urinaires.
Dans le cas du botulisme d’origine alimentaire, il s’agit d’une ingestion de toxines (et non de la bactérie), et les antibiotiques ne sont d’aucune aide. Dans les cas (suspectés) de botulisme, les antibiotiques peuvent même être nocifs, car la destruction de la bactérie pourrait libérer davantage de toxines. Leur utilisation est donc largement déconseillée. Certains antibiotiques, comme les tétracyclines, peuvent chélater le calcium et pourraient ainsi augmenter l’absorption de la toxine.
L’effet du métronidazole n’est pas clairement établi. Des études in vitro n’ont montré aucune augmentation du taux de toxine.
Les aminosides sont contre-indiqués en cas de botulisme car ils perturbent la transmission neuromusculaire présynaptique, ce qui peut aggraver le blocage neuromusculaire. Au sein du groupe des aminosides, il existe des différences dans le degré de cette activité, mais leur effet global est de bloquer la libération d’acétylcholine, ce qui peut aggraver la faiblesse musculaire causée par le botulisme [12,13].
La clindamycine (un lincosamide, pas un aminoside) peut renforcer le blocage neuromusculaire lorsqu’elle est administrée en association avec des myorelaxants comme le rocuronium, car elle bloque la libération d’acétylcholine. Cela renforce l’effet à la fois des toxines botuliques et des myorelaxants, ce qui peut entraîner une paralysie et des complications respiratoires plus sévères [14,15].
Les directives recommandent de n’administrer des antibiotiques aux patients atteints de botulisme qu’après mûre réflexion et avec une surveillance appropriée, étant donné que leurs bénéfices sont limités dans ces cas [16,17].
Antitoxine botulique
Botulisme d’origine alimentaire
En cas de botulisme d’origine alimentaire, l’administration d’antitoxine botulique, qui cible spécifiquement les sérotypes A, B et E, peut être d’une importance cruciale, surtout dans la phase précoce de la maladie. Une administration précoce de l’antitoxine peut réduire la gravité des symptômes et ralentir la progression de la maladie, ce qui est particulièrement important compte tenu de l’évolution rapide de la paralysie. La décision d’administrer l’antitoxine est prise sur la base du diagnostic clinique, et une action rapide est essentielle.
L’antitoxine botulique, fabriquée à partir de sérum de cheval, peut provoquer des réactions allergiques, y compris une anaphylaxie. Bien que des tests de sensibilisation ne soient pas nécessaires avec la plupart des antisérums, il est recommandé de l’administrer en milieu hospitalier où les réactions peuvent être traitées rapidement.
L’antitoxine ne fait que neutraliser la toxine présente dans la circulation sanguine et n’a aucun effet sur la paralysie déjà installée. Elle est la plus efficace si elle est administrée dans les 48 heures suivant l’apparition des premiers symptômes, mais elle peut rester utile même après plus de sept jours. L’antitoxine reste généralement dans le sang pendant un maximum de 7 jours. Si l’état du patient ne s’aggrave plus après 7 jours, il est probable que l’antitoxine ne soit plus efficace et qu’il n’y ait plus d’intérêt à la réadministrer [2,18].
Il est important de consulter le médecin traitant concernant l’administration et la disponibilité de l’antitoxine. En Belgique, la procédure de demande de l’antitoxine se fait via le SPF Santé publique et nécessite le remplissage de formulaires spécifiques et l’organisation d’un transport spécial. En dehors des heures de bureau, une procédure d’urgence peut être activée via le Centre Antipoisons.
Un antitoxine botulique heptavalent, couvrant les sept types de toxines (A à G), est maintenant disponible et efficace pour neutraliser les toxines circulantes. En Belgique, cet antitoxine heptavalent n’est pas standardisé dans la plupart des hôpitaux, mais il peut être obtenu en cas d’urgence via le Centre Antipoisons.
Botulisme infantile
L’antitoxine botulique à base de sérum de cheval est parfois utilisée pour le botulisme infantile, mais pas de manière systématique. La raison principale est le risque d’anaphylaxie et d’hypersensibilité à vie aux anticorps de cheval. Bien que l’antitoxine de sérum de cheval soit moins chère et plus facilement disponible, aucune étude clinique randomisée n’a comparé son efficacité à celle d’autres antitoxines [2, 20, 21, 22].
Obligation de déclaration
Le botulisme humain est une maladie infectieuse à déclaration obligatoire en Belgique. Les cas de botulisme doivent être signalés afin de pouvoir identifier et retirer les aliments contaminés du marché. Cette démarche est essentielle pour prévenir de nouvelles contaminations et pour évaluer le niveau de risque [2].
Sciensano est le laboratoire national de référence pour le botulisme en Belgique. Il est chargé d’analyser les échantillons d’origine humaine et animale. Les résultats de ces analyses sont généralement disponibles après 1 à 4 semaines. Pour le diagnostic du botulisme humain, des échantillons de sérum, de liquide gastrique ou de selles sont analysés. Parmi ces échantillons, les selles sont celles qui restent détectables le plus longtemps et sont donc les plus adaptées pour confirmer l’infection [1].
Où peut-on commander l’antidote ?
Procédure de commande de l’antitoxine botulique (BAT) auprès du Service Public Fédéral (SPF) Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement [2].
- Le médecin traitant contacte le médecin de garde de la lutte contre les maladies infectieuses du Département de la Santé pour discuter de l’administration ou non de l’antitoxine botulique.
- Ce médecin de la lutte contre les maladies infectieuses informe la garde médicale du SPF SPSCAE (Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement) à l’adresse vigilance.sanitaire@health.fgov.be.
- En cas d’accord, les formulaires de demande nécessaires sont remplis par le médecin traitant / le Département de la Santé afin que le SPF puisse organiser un transport d’urgence. Attention : l’antitoxine botulique doit être conservée au frais et il est donc préférable de la commander pendant les heures de bureau. En dehors des heures de bureau, le SPF SPSCAE peut exceptionnellement activer une procédure d’urgence via le Centre Antipoisons.
- Après l’administration de l’antitoxine, le médecin traitant complète un formulaire pour signaler les effets secondaires et permettre le réapprovisionnement du stock.
Références
- Clostridium botulinum (Botulisme). https://www.sciensano.be/nl/gezondheidsonderwerpen/botulisme
- Departement Zorg. Richtlijnen infectiebestrijding Vlaanderen botulisme 2024. https://zorg-en-gezondheid.be/sites/default/files/2023-05/Richtlijn%20botulisme%20%28versie%202023%29%20.pdf
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- LCI-richtlijn Botulisme, www.rivm.nl