Prise en charge des intoxications aiguës: principes généraux.

Cet article est destiné aux professionnels: les termes techniques utilisés peuvent ne pas être compris par tous. 

La prise en charge des intoxications aiguës comprend une évaluation initiale de l’ABCD  (Airway, Breathing, Circulation, Disability) et une stabilisation du patient. Une fois l’état du patient stabilisé, on peut évaluer la nécessité d’une décontamination: évacuation gastrique, charbon activé, diurèse forcée, épuration extrarénale. Un petit nombre d’intoxications nécessite l’utilisation d’antidotes.  

1. Maintien des fonctions vitales et traitement symptomatique

Le traitement de la plupart des intoxications est purement symptomatique. Il peut parfois être complété par l'administration d'antidotes spécifiques.
Le maintien des fonctions vitales est une priorité. Après stabilisation du patient, l’identification du toxique en cause par l’anamnèse et/ou l’aide du laboratoire de toxicologie permettra éventuellement de prendre des mesures plus spécifiques.

2. Décontamination

Projection cutanée et oculaire

En cas de projection cutanée, un rinçage immédiat et prolongé à l'eau tiède courante (30 minutes à 2 heures) est indiqué dans tous les cas, y compris les projections d’acides forts comme l’acide sulfurique.

Les brûlures par base demandent un rinçage particulièrement prolongé.

Après rinçage, les brûlures chimiques se traitent de la même manière que les brûlures thermiques.

Pour certains produits, il existe un traitement spécifique: les brûlures à l'acide fluorhydrique se traitent par l’administration de sels de calcium.

L’existence d’un traitement spécifique ne doit jamais retarder le rinçage à l’eau.

La peau est une voie d’entrée importante pour certains toxiques: l’aniline, l’acide monochloroacétique, certains pesticides organophosphorés ou carbamates par exemple peuvent entraîner une intoxication grave par pénétration cutanée. Dans ces cas, une décontamination de la peau par lavage à l’eau et au savon est une étape importante du traitement.

En cas de projection oculaire, un rinçage à l'eau ou au sérum physiologique est toujours indiqué. Il peut être précédé de l'instillation d'une goutte d'anesthésique local. Le recours à l'ophtalmologue doit être systématique en cas de projection oculaire de base ou d’acide forts.

A l’heure actuelle, l’intérêt d’utiliser d’autres solutions de rinçage n’a pas été démontré par des études indépendantes.

Ingestion

L’ évacuation gastrique  

Vider l’estomac par lavage ou par administration d’un émétique (sirop d’ipéca) a longtemps fait partie du traitement standard du patient intoxiqué.

L’utilité des traitements visant à limiter l’absorption des toxiques a été réévaluée par plusieurs sociétés savantes sur base des études cliniques et expérimentales disponibles.

Dès 1997, l’American Academy of Clinical Toxicology et l’European Association of Poison Centres and Clinical Toxicologists ont publié des prises de position communes sur le lavage gastrique et le sirop d’ipéca. Elles ont conclu que l’intérêt clinique pour le patient n’était pas démontré et que l’utilisation en routine de ces techniques ne se justifiait pas. Ces prises des positions ont été réévaluées en 2013 et n’ont pas changé.

La décision de procéder à un lavage gastrique doit être prise en fonction du bénéfice potentiel pour le patient: en cas d’ingestion d’une molécule à fort potentiel toxique (paraquat, colchicine, métaux lourds…) et lorsque le patient se présente suffisamment tôt pour que le produit se trouve encore dans l’estomac (endéans l’heure en général), un lavage gastrique peut être envisagé.

Comme pour le lavage gastrique, les indications du vomissement provoqué par le sirop d’ipéca ont été réévaluées. Les études disponibles n’ont pas démontré de bénéfice clinique pour le patient.

Le lavage gastrique et les vomissements provoqués sont contre-indiqués en cas d’ingestion de caustiques (risque de majoration des lésions), de toxiques convulsivants, de solvants à risque d’aspiration pulmonaire (white spirit, pétrole lampant…) et chez le patient somnolent ou inconscient. Dans ce dernier cas, si un lavage est jugé nécessaire, il doit être pratiqué sous intubation endotrachéale et protection des voies respiratoires.

Le charbon activé

Le charbon activé est une poudre noire insoluble, obtenue par pyrolyse de matières végétales riches en carbone. Un traitement à haute température lui donne une structure poreuse et une surface d’absorption de 1000 à 1500 m2/g.

Indications

Chez les patients ayant ingéré une dose potentiellement toxique d'un produit, l’administration d’une dose unique de charbon activé peut être proposée pour diminuer la résorption du toxique. L’efficacité du charbon sera plus grande s’il est donné rapidement, de préférence dans l’heure qui suit l’ingestion.

L’utilisation du charbon activé ne doit pas être systématique.

Il n’a jamais été démontré que l’administration de charbon influençe l’évolution clinique du patient.

Forme et administration

Le charbon est disponible sous forme de spécialité (Norit Carbomix®). Le charbon de la pharmacopée belge, que l’on trouve dans toutes les pharmacies, est moins coûteux et convient également. La capacité d’adsorption des granulés et comprimés de charbon est insuffisante pour être utilisés dans cette indication.

Le charbon activé s’utilise en suspension dans l’eau (240 ml d’eau pour 20 g de charbon) à raison de 0.5 à 1 g de charbon par kg de poids corporel chez l’enfant, 30 à 50 g chez l'adulte. Cette posologie est tout à fait empirique. Pour rendre le mélange plus acceptable par l'enfant, on peut y ajouter du sirop ou du yaourt.

Le charbon s’utilise le plus souvent en dose unique.

L’administration répétée de charbon toutes les 4 à 6 h peut être envisagée lors d’ingestion massive de carbamazépine, théophylline, phénobarbital, dapsone et quinine.

L’administration répétée de charbon activé augmente la clearance d’un certain nombre de molécules ayant un cycle entéro-hépatique ou entéro-entérique mais le bénéfice clinique pour le patient intoxiqué n’a jamais été démontré.

Contre-indications et précautions

Chez le patient somnolent ou inconscient, les voies respiratoires doivent être protégées avant d’administrer le charbon par une sonde gastrique.

Un certain nombre de molécules comme l’éthanol, les sels de fer, les sels de lithium, les chlorates ne sont pas adsorbés sur charbon.
Le charbon activé ne sera pas utilisé en cas d’ingestion de caustiques car il adhère aux muqueuses et complique l’évaluation endoscopique des lésions.

En cas d’ingestion de solvants pétroliers à fort potentiel d’aspiration pulmonaire, il est préférable de ne pas donner de charbon: la consistance grenue de la suspension pourrait favoriser l’apparition de vomissements.

Les laxatifs

Les laxatifs n’ont pas de place dans le traitement des intoxications: aucune influence des laxatifs sur la biodisponibilité des toxiques n’a jamais été démontrée.

L’irrigation intestinale (whole bowel irrigation)

Dans des cas tout à fait exceptionnels, une irrigation intestinale peut être envisagée. La technique est celle d’une préparation colique et consiste à administrer 1.500 ml/heure chez l’adulte (500 ml/h chez l'enfant) d’une solution isotonique de polyéthylène glycol et d’électrolytes jusqu’à obtention d’un effluent rectal clair. Ce traitement est une option théorique en cas d’ingestion massive de préparations retard ou de toxiques non adsorbés sur charbon tels que métaux lourds, lithium, sels de fer.

3. Accélération de l'élimination du toxique: élimination rénale et extra-rénale

L'élimination rénale: diurèse forcée, diurèse alcaline

Le maintien d'une diurèse correcte fait partie du traitement général du patient intoxiqué. Par contre, les indications de la diurèse forcée ou de la diurèse alcaline sont très limitées.

Il faut que le toxique sous forme active soit éliminé principalement par le rein et qu’il soit réabsorbé au niveau tubulaire.

Les membranes cellulaires sont surtout perméables aux formes non ionisées, non polaires, des acides et bases faibles. La manipulation du pH urinaire a pour but de maintenir le toxique sous une forme ionisée empêchant sa réabsorption tubulaire.
Les acides faibles se trouvent sous forme ionisée à pH alcalin. En alcalinisant l'urine, on augmente la clairance rénale d'acides faibles, tels que les salicylés, le phénobarbital, le 2,4-D (herbicide chlorophénoxy).

L'épuration extra-rénale: hémodialyse, hémoperfusion et le système MARS

La grande majorité des intoxications évolue favorablement sous traitement symptomatique en réanimation. Le recours à l’hémodialyse ne peut se justifier que si un bénéfice clinique peut être attendu pour le patient.

L'hémodialyse éliminera efficacement les molécules hydrosolubles, de faible poids moléculaire (inférieur à 500), peu liées aux protéines plasmatiques et dont la distribution est extra-cellulaire (faible volume de distribution). L’hémodialyse peut être indiquée dans l’intoxication au méthanol, à l'éthylène glycol ou au lithium.

L'hémoperfusion sur charbon ou sur résine permet d'éliminer des toxiques de poids moléculaire plus élevé et dont la liaison aux protéines est plus forte. L'hémoperfusion a très peu d’indications en toxicologie. Elle peut parfois être utile dans les intoxications sévères à la théophylline.

Le système MARS: la technique d’épuration MARS® (Molecular Adsorbent Recirculating System) est un système d’épuration, destiné à suppléer la fonction de détoxification du foie chez le patient en insuffisance hépatique. L’élimination des toxines liées à l’albumine se fait à travers une membrane d’échange vers un dialysat contenant 20 % d’albumine humaine. Le dialysat est régénéré par passage dans un module d’hémodialyse/hémofiltration (élimination des toxines hydrosolubles) puis sur une colonne de charbon et une colonne de résine (élimination des toxines liées à l’albumine).

En toxicologie, le système MARS est utilisé chez des patients en attente de transplantation hépatique après intoxication au paracétamol ou à l’amanite phalloïde.

Dans les intoxications par toxiques fortement liés aux protéines, avec ou sans hépatotoxicité, l’utilisation de la technique a été rapportée dans quelques cas d’intoxication par la phénytoïne, la théophylline et le diltiazem.

4. Les antidotes

Définition

Un antidote est un médicament utilisée pour combattre les effets toxiques d'un xénobiotique spécifique.

Indications

Le traitement de la plupart des intoxications est purement symptomatique. Dans certains cas, l’administration précoce d’un antidote peut être nécessaire à une évolution favorable. Lorsqu’un antidote existe, son utilisation est rarement essentielle et ne constitue qu'une partie du traitement.

Disponibilité

Un certain nombre d’antidotes ne sont pas enregistrés en Belgique et ne sont donc pas commercialisés. Etant donné que ces médicaments spécifiques doivent être administrés en urgence, le Centre Antipoisons tient un petit stock d'antidotes à la disposition du corps médical. Grâce à la collaboration de 20 hôpitaux du pays, le Centre peut également orienter le pharmacien hospitalier vers la pharmacie de l’hôpital le plus proche disposant de l’antidote dont il a besoin.

Certains antidotes doivent être disponibles sur les lieux de travail. Il s’agit essentiellement des antidotes de l’intoxication au cyanure.

Les médicaments spécifiques utiles en cas d’intoxication aiguë sont abordés dans le texte sur les antidotes.

Voir aussi:

5. Références

  • Position Paper: Gastric Lavage.
    American Academy of Clinical Toxicology and European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists, Clinical Toxicology Volume 42, Number 7 / 2004  pages 933 – 943.

  • Position Paper: Ipecac Syrup.
    American Academy of Clinical Toxicology/European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists, Clinical Toxicology Volume 42, Number 2 / 2004 pages 133 - 143.

  • Position Paper: Single-Dose Activated Charcoal.
    American Academy of Clinical Toxicology and European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists, Clinical Toxicology Volume 43, Number 2 / February-March 2005 pages 61-87.

  • Position Statement and Practice Guidelines on the Use of Multi-Dose Activated Charcoal in the Treatment of Acute Poisoning.
    American Academy of Clinical Toxicology, European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists, Clinical Toxicology, Volume 37, Number 6 / 1999, pages 731 - 751.

  • Position Paper on Urine Alkalinization.
    T. Proudfoot, E. P. Krenzelok J. A. Vale. Clinical Toxicology Volume 42, Number 1 /2004 pages 1-26.
  • Position paper update: gastric lavage for gastrointestinal decontamination.
    Benson B.E., Hoppu K., Troutman W.G., Bedry R., Erdman A., Höjer J., Mégarbane B., Thanacoody R., Caravati E.M., American Academy of Clinical Toxicology; European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists. Clinical Toxicology Volume 51, Number 3 /2013 pages 140-6.
  • Use of the molecular adsorbent recirculating system (MARS™) for the management of acute poisoning with or without liver failure.
    Wittebole X., Hantson P., Clinical Toxicology Volume 49, Number 9/2011 pages782-93.